lundi 13 janvier 2014

En route pour la Cour Suprême du ROC

Je reproduis ici un superbe billet de

Stéphane Gobeil 1
 publié sur le site internet de l’Actualité

Charte des valeurs : plus unis qu’on peut le penser

13 jan. 2014

En 2013, on aura beaucoup discuté des divisions suscitées par le projet de Charte des valeurs du gouvernement Marois.

On a beaucoup moins entendu parler de ce qui nous unit. Et pourtant…

D’abord, il faut souligner que hormis la partie de la Charte portant sur l’interdiction des signes religieux, tout le reste du projet de loi fait à peu près l’unanimité. Même Philippe Couillard se disait d’accord avec ce qui constitue les 4/5 du projet de loi actuel.

Ensuite, il nous faut constater que sur le principe d’interdire le port de signes religieux, il y a pratiquement unanimité.

À l’Assemblée nationale, la Coalition Avenir Québec (CAQ), Québec solidaire (QS) et le Parti québécois (PQ) s’entendent sur ce principe, les différences ayant trait à la portée d’une telle interdiction. Pour QS, elle se limiterait aux juges, aux gardiens de prison et aux policiers. Pour la CAQ, elle s’étendrait en plus aux enseignants des écoles primaires et secondaires, tandis que le gouvernement l’étendrait à l’ensemble de la fonction publique et parapublique.

Quant au Parti libéral, ça dépend des jours et de la personne qui parle. Ce n’est pas très clair, mais le chef Couillard a affirmé qu’il interdirait qu’une candidate libérale porte le tchador, même si pour une juge, ce serait correct…

C’est donc dire que tous les partis politiques à l’Assemblée nationale sont en accord, d’une façon ou d’une autre, avec le principe d’interdire le port de signes religieux.

On a beaucoup fait état des sorties des anciens premiers ministres péquistes et de l’ex-chef du Bloc, en les campant du côté des opposants au projet de Charte des valeurs. Pourtant, chacun appuie le projet, quoique avec des réserves. Ni Lucien Bouchard, ni Bernard Landry, ni Jacques Parizeau et ni Gilles Duceppe ne s’opposent à l’interdiction du port de signes religieux. Encore une fois, ils diffèrent sur la portée de l’interdiction, pas sur le principe.

Il y a donc une grande unité de vue à propos de la Charte des valeurs, les 4/5 du projet faisant la quasi-unanimité, tout comme le principe de l’interdiction du port de signes religieux.

Il en va de même de la pertinence d’agir. Au commencement, nous avons entendu beaucoup d’opposants remettre en cause la pertinence de se lancer dans ce débat, plusieurs affirmant qu’il n’y avait aucun problème, sauf un malaise imaginaire. Quelques mois plus tard, même Philippe Couillard voulait adopter un projet rapidement. Il apparaît évident, aujourd’hui, qu’il y avait matière à débattre et à légiférer.

On continue à lire et à entendre qu’il n’y a pas d’études, et qu’on ne peut légiférer sans études. Des études, il y en a eu tant et plus, mais là n’est pas la question.

Comme on vient de le voir, à peu près tous les acteurs publics se sont prononcés en faveur du principe de l’interdiction du port de signes religieux. Même Gérard Bouchard et Charles Taylor, deux des opposants les plus tonitruants à la Charte des valeurs, se sont prononcés dans leur rapport pour l’interdiction du port de signes religieux par les personnes ayant un pouvoir de coercition comme les juges, les procureurs de la Couronne, les policiers et les gardiens de prison. Ils l’ont fait au nom d’un principe, pas à partir des études de leur commission.

Si l’on apprenait qu’aucun juge ne porte de signes religieux, est-ce que ça changerait quelque chose au principe ? Bien sûr que non.

C’est comme l’abolition de la peine de mort. On ne décide pas d’une telle chose à partir d’études sociologiques, mais plutôt à partir d’un principe fondamental.

Il en va de même en ce qui a trait au port de signes religieux ou politiques. Viendrait-il à l’esprit de quiconque de réclamer des études pour vérifier les répercussions de l’interdiction de signes politiques dans la fonction publique ? Bien sûr que non, puisqu’il s’agit d’un principe, celui de la neutralité de l’État. Il en va ainsi pour l’interdiction du port de signes religieux, fondée sur le même principe.

Restent les Chartes des droits et libertés, la canadienne et la québécoise.

Le gouvernement propose de modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour y inscrire le principe de la neutralité de l’État et le caractère laïque de ses institutions. Sauf pour les gardiens de l’orthodoxie juridique, il n’y a guère d’opposition à cette proposition du gouvernement.

En ce qui a trait à la Charte canadienne des droits et libertés, on sait qu’elle est devenue pratiquement immuable depuis 1982, du fait de sa très rigide formule d’amendement. La question consiste donc à savoir si le projet de loi éventuellement adopté par l’Assemblée nationale passera le test de l’interprétation de la Charte canadienne par les juges de la Cour suprême.

Cependant, les élus québécois ne peuvent prédire ce que décideront les juges. Certains juristes affirment que le projet du gouvernement ne passera pas le test, mais d’autres affirment le contraire, y compris d’anciens juges et même celui qui fut chargé à l’époque de coordonner la rédaction de la Charte canadienne.

Philippe Couillard affirme qu’il faudra lui passer sur le corps pour adopter un projet allant à l’encontre de la Charte canadienne. Comment pourrait-il le savoir d’avance ? C’est absurde à sa face même.

Les élus de l’Assemblée nationale doivent adopter ce qu’ils considèrent être la meilleure législation possible pour le Québec, plutôt que d’abdiquer leurs responsabilités en se réfugiant derrière les juges. J’ose espérer que sur ce point, nous sommes tous d’accord.

Bref, tout ça me fait penser au slogan de cette banque : «Vous êtes plus riches que vous le pensez.»

Sur la Charte des valeurs, nous sommes plus unis que nous pouvons le penser.

 

No de billet: 62792-41-10-31-1