vendredi 8 mars 2013

Avec ses 7 billions de $ de pétrole, est ce que le Québec est financièrement capable d’être un pays?


Je reproduis un excellent reportage d’Alec Castonguay dans l’Actualité

 

Pétrole: la volonté de Marois, les conseils de Redford

Publié dans : Gouvernement du Québec, Partis politiques

7 mars 2013

Si on se fie aux propos de la première ministre Pauline Marois, l’ambigüité est terminée. Le Québec va exploiter son pétrole.

Dans l’entrevue que Mme Marois m’a accordée il y a quelques jours, le discours est clair et limpide. Lorsque l’or noir pourra être extrait, il le sera. Le gouvernement va même commencer à encadrer l’exploitation dans un projet de loi d’ici l’été.

Avant de vous parler davantage des entrevues avec Pauline Marois et Alison Redford, la première ministre de l’Alberta, une petite mise en contexte.

cover petrole1 220x294 Pétrole: la volonté de Marois, les conseils de Redford

La page couverture du magazine L'actualité de cette semaine

Dans notre numéro qui arrive en kiosque demain (vendredi) — mais que les abonnés ont commencé à recevoir — on fait le tour de la question du pétrole québécois, un sujet au cœur de l’actualité (sans jeu de mots!).

Dans ce grand dossier, mes collègues Pierre Duhamel et Jean-Benoît Nadeau répondent à 22 questions factuelles pour démêler les mythes et les faits. Par exemple, selon les estimations internes du ministère des Ressources naturelles du Québec, il y aurait 429 millions de barils de pétrole en Gaspésie, sept milliards de barils dans la portion québécoise d’Old Harry, dans le golfe du Saint-Laurent, et 46 milliards de barils dans l’île d’Anticosti.

Une belle manne. Mais il s’agit d’estimations géologiques. Est-ce que ce pétrole est exploitable?

Réponse:

Sur le terrain, des experts parlent plutôt d’un potentiel «très théorique» de 200 à 300 millions de barils en Gaspésie et de 40 milliards de barils sur l’île d’Anticosti, dont environ 5 % seraient exploitables. Et ils refusent de s’avancer sur le potentiel d’Old Harry. À ce stade, il serait bien téméraire d’estimer la valeur d’une éventuelle exploitation québécoise, mais on peut rêver.

Autre exemple. Combien de sociétés ont des droits sur le territoire québécois ?

En Gaspésie, 11 sociétés sont titulaires de permis de recherche (comprenant l’exploration) ; à Anticosti, 5 ; dans le golfe, 2. L’État a délivré ces permis sur la base du «premier arrivé, premier servi».

Dans ce dossier, nous donnons la parole à Steven Guilbeault, d’Équiterre, à François Roussy, le maire de Gaspé, et à Jean-Yves Lavoie, de Junex. Il y a un volet historique (l’aventure pétrolière en Gaspésie remonte à… 1844!) et un sondage.

Pour vous, quelques réponses de ce sondage CROP-L’actualité:

Devrait-on permettre la production de pétrole au Québec?

Oui 71 %

Non 18 %

Ne sait pas 11 %

Devrait-on autoriser l’exploitation du gisement Haldimand, de Pérolia, près de Gaspé?

Oui 51 %

Non 28 %

Ne sait pas 21 %

Devrait-on exploiter des gisements de l’île d’Anticosti?

Oui 50 %

Non 28 %

Ne sait pas 21 %

À noter, les Québécois sont fortement favorables à l’exploitation du pétrole, mais tergiversent davantage lorsqu’il est question de projets spécifiques. Le nombre assez élevé de répondants qui ne «savent pas» montre que le débat mérite encore d’être fait.

Dans ce dossier, nous avons également deux entrevues exclusives. L’une avec la première ministre Pauline Marois. L’autre avec la première ministre Alison Redford, de l’Alberta.

Le Québec se demande s’il doit exploiter son pétrole, et si oui, comment. L’Alberta le fait depuis 40 ans. Est-ce que cette province a des conseils à donner? Des faux pas à éviter, des barrières à mettre en place, des idées à proposer…?

Des entrevues qui enrichissent le débat, même si les réponses ne plairont pas à tous. Les deux dirigeantes ont livré le fond de leur pensée, sans hésitation, avec limpidité.

Je ne vous raconte pas tout, je vais vous laisser le découvrir dans le magazine. Mais voici un avant-goût.

D’abord de mon entrevue avec Pauline Marois.

Est-ce qu’on doit exploiter le pétrole du Québec ?

J’ai toujours dit que nous allions exploiter le pétrole du Québec si on en trouvait. Je n’ai pas changé d’avis, même si ça déplaît à certains. On parle d’un potentiel intéressant, mais il faut explorer pour vérifier ces données, car ce sont des estimations en fonction des formations géologiques des sites. Je reste prudente pour ne pas faire croire des choses au monde.

Nous allons quand même commencer à encadrer cette ressource. Il faut mettre de l’ordre là-dedans. Nous avons prévu un nouveau régime de permis et bail sur les hydrocarbures, annoncé au budget, en application à partir de 2014. Ce sera un concept d’enchères pour les sites où les permis n’ont pas encore été vendus, qui devrait nous rapporter cinq millions de dollars. C’est peu, mais c’est plus qu’avant, où c’étaient vraiment des grenailles.

Il faut aussi revoir la loi sur les hydrocarbures. On va se pencher là-dessus d’ici l’été.

Est-ce qu’on devrait avoir une étude générique du BAPE sur la filière du pétrole, étudier toute cette question ?

Non. Il est préférable d’avoir des études propres à chaque projet. La réalité de la Gaspésie, celle d’Anticosti et celle d’Old Harry sont très différentes.

Certains s’opposent à l’exploitation du pétrole, affirmant qu’on devrait se consacrer à développer de nouvelles sources d’énergie plus propres. Qu’en pensez-vous ?

En 2011, la balance commerciale du Québec était déficitaire de 29 milliards de dollars. On importe davantage qu’on n’exporte. De ce déficit, le pétrole représente 11 milliards de dollars. Ça vaut la peine d’essayer de changer ça. Par exemple, l’industrie pétrochimique va continuer d’avoir besoin de pétrole pour fabriquer du plastique et du caoutchouc.

L’objectif est d’arrêter de s’approvisionner en Algérie, en mer du Nord ou au Royaume-Uni, car c’est de là que provient le pétrole consommé au Québec. Il circule par bateaux, descend le fleuve Saint-Laurent, avec les risques que ça comporte. Ces navires émettent du CO2. Si on a du pétrole chez nous qui peut remplacer ce pétrole importé, tant mieux.

Mais notre objectif est de réduire notre consommation, pas de l’augmenter. Avoir du pétrole ne veut pas dire une baisse du prix à la pompe. Il faut en même temps encourager l’électrification des transports. On va constituer un groupe de choc sur cette question. Ce sera une orientation importante. Et on va continuer de développer l’hydroélectricité, mais aussi le solaire et l’éolien.

À noter, cette information sur Junex et Pétrolia:

Il y a de petites entreprises québécoises très actives dans l’exploration pétrolière, comme Junex et Pétrolia. L’État devrait-il prendre des participations dans leur capital ?

C’est déjà le cas. Investissement Québec, par sa filiale Ressources Québec, qui gère le fonds Capital Mines et Hydrocarbures, a récemment acheté 10,6 % du capital de Pétrolia et 10,8 % de celui de Junex, pour un total d’environ 15 millions de dollars. Ce n’est pas dit qu’on ne peut pas augmenter encore cette participation. C’est une façon de mieux contrôler l’exploitation d’une ressource stratégique et de s’assurer qu’elle se fait d’une manière responsable.

La majorité des réserves mondiales de pétrole appartiennent à des sociétés d’État. Est-ce que le Québec ne devrait pas faire la même chose et remettre sur pied la Division pétrole d’Hydro-Québec ?

Je n’ai pas d’objection à augmenter notre participation dans certaines entreprises, mais revenir en arrière avec une société d’État qui s’y consacre, ce n’est pas dans nos plans.

L’un des sujets épineux sur l’exploitation de l’or noir, c’est la relation entre l’entreprise pétrolière, la ville concernée et la richesse collective. J’ai abordé la question avec Pauline Marois:

Il y a parfois des frictions entre les entreprises et les municipalités, comme on l’a vu à Gaspé. À quel point les villes doivent-elles avoir un pouvoir de bloquer les projets ?

Dans un certain rayon, elles devraient avoir une capacité d’intervenir pour dire «ce n’est pas possible». Mais les ressources naturelles appartiennent à tous les Québécois, et c’est l’État central qui doit assumer le plus de responsabilités et obtenir le plus de redevances.

Gaspé est un exemple qui montre que c’est une question importante. Il faut trouver un mécanisme pour gérer ce type de cas. Notre projet de loi sur les hydrocarbures devrait nous aider à préciser cet arbitrage.

Est-ce que les municipalités devraient toucher des redevances sur l’exploitation pétrolière ?

C’est un sujet fort épineux ! Les villes veulent des redevances sur la forêt, sur les mines, sur l’hydro-électricité et ainsi de suite. Elles veulent profiter de cette richesse, je les comprends.

Dans le dernier budget, on a décidé que les redevances minières et pétrolières iraient au remboursement de la dette, dans le Fonds des générations.

On pourrait toutefois mettre en place une forme de péréquation entre les régions. Que Québec gère les redevances, mais redonne une partie de la richesse à une région, sans que ce soit un pourcentage direct des redevances. Mais la richesse des ressources naturelles appartient à tous les Québécois, et une région ne doit pas être désavantagée parce qu’elle n’a pas la chance d’être assise sur du pétrole ou d’avoir une rivière avec un barrage. Chaque citoyen doit être traité équitablement.

À noter aussi, même si la décision n’est pas prise, cette ouverture à l’inversion du pipeline 9, entre Sarnia et Montréal, pour y acheminer du pétrole de l’Ouest.

Il y a aussi Enbridge, qui veut inverser le flux de son pipeline entre Sarnia et Montréal…

On a créé un groupe de travail avec l’Alberta. La première rencontre a eu lieu à la mi-février. Il faut que le Québec y trouve son compte et que l’environnement soit respecté. Ensuite, je prendrai une décision.

Les raffineries Suncor et Ultramar veulent le pétrole de l’Ouest canadien et sont prêtes à investir des millions pour moderniser leurs installations. S’agit-il d’arguments convaincants ?

Il y a beaucoup d’argent en jeu. Le Québec doit trouver quel est son intérêt, mais il y en a un, c’est certain.

Je vous laisse lire le reste dans le magazine.

Dans le cas de la première ministre Alison Redford, elle ne s’en cache pas, l’Alberta est à la recherche de nouveaux marchés et le Québec est dans sa mire.

Au rythme actuel, les oléoducs qui exportent l’or noir albertain seront au maximum de leur capacité en 2016. Sans nouveaux marchés, l’Alberta se retrouvera enclavée, et l’exploitation du pétrole classique et des sables bitumineux devra inévitablement ralentir, ce qui privera Edmonton et Ottawa de milliards de dollars de revenus. J’en parlais déjà dans ce texte, paru dans le magazine en juin dernier, «La diplomatie de l’or noir».

Voici des extraits de mon entrevue avec Alison Redford (qui, soit dit en passant, a répondu à la majorité des questions en français).

Le Québec songe à extraire de l’or noir. Quels conseils pourriez-vous lui donner ?

L’Alberta extrait du pétrole depuis 40 ans. Nous avons beaucoup appris. Nous serions heureux d’aider le Québec à encadrer son développement pétrolier s’il le souhaite. Nous avons des fonctionnaires prêts à donner un coup de main.

Le Québec a la chance de commencer au moment où les technologies d’extraction sont très avancées et beaucoup plus propres qu’avant. Les lois environnementales sont aussi plus strictes et les entreprises se sont adaptées. Avant 1990, il y avait du laxisme. Maintenant, la pollution est moins importante, et c’est tant mieux. Il y aura toujours un risque écologique, mais l’équilibre entre l’environnement et le développement économique est plus sain aujourd’hui.

Quels sont les bons coups dont le Québec pourrait s’inspirer ?

Le pétrole est une ressource non renouvelable, alors il faut s’attendre à ce que celle-ci disparaisse. Il faut utiliser l’argent intelligemment pour que les générations futures en profitent. Nous avons ainsi mis sur pied, en 1976, le Heritage Fund, qui récolte une partie de l’argent du pétrole et du gaz pour un usage futur. Ces fonds peuvent servir à diversifier l’économie, à faire de la recherche ou à réduire la dette. Malheureusement, depuis 20 ans, les gouvernements ont préféré utiliser l’argent pour les dépenses courantes et n’ont pas contribué au fonds Heritage, de sorte qu’il ne contient que 16,4 milliards de dollars. C’est une erreur. J’ai promis de recommencer à y verser de l’argent.

Y a-t-il une autre erreur à éviter ?

La plus grande difficulté n’est pas la technologie, mais la croissance rapide de la ville qui se trouve au cœur de l’activité. La pression sur le logement, les écoles, les hôpitaux devient très forte ; il faut gérer les services à la population. On a connu beaucoup de problèmes à Fort McMurray, où sont exploités les sables bitumineux. Il faut planifier l’explosion de la demande qui vient avec cette richesse.

Y a-t-il un danger à devenir dépendant des revenus des ressources naturelles, un secteur cyclique où les prix sont volatils ? Par exemple, la chute du prix du pétrole cette année fera perdre à l’Alberta six milliards de dollars...

Le risque, énorme, c’est que le gouvernement s’habitue à ces revenus. Il est irresponsable de ne se fier qu’à une ou deux ressources pour asseoir notre prospérité. L’Alberta va s’arranger, malgré le trou de six milliards, mais c’est évident qu’il faut accélérer la diversification de notre économie.

Le Québec a un avantage : la proximité de l’océan pour exporter son pétrole ou son gaz. L’Alberta est coincée au milieu du continent, et donc dépendante du marché américain, où les prix du baril sont encore plus volatils. Le prix de notre baril a chuté de 20 % ces six derniers mois. Il se vend moitié moins cher que le cours du Brent [NDLR : le prix de référence mondial pour le pétrole brut du bassin atlantique, marché d’où provient la majorité du pétrole consommé au Québec]. Pour nous, ça veut dire 75 millions de dollars en moins chaque jour ! Le défi, c’est l’exportation, pour être moins dépendant d’un seul marché.

C’est là que le Québec entre dans votre stratégie. À quel point l’inversion du pipeline entre Sarnia et Montréal, pour acheminer du pétrole de l’Ouest, est-elle importante pour vous ?

Il nous faut de nouveaux marchés. Mais ce projet est aussi très bon pour l’économie du Québec. Il pourrait y avoir beaucoup d’emplois en jeu. Ce pipeline existe déjà. Il ne s’agit pas d’en créer un nouveau, mais d’inverser le sens du pétrole.

Cela nous donnerait aussi un accès à la mer et, possiblement, à l’exportation sur le marché mondial, où les prix sont meilleurs. Ce serait bon pour nous, mais aussi pour tout le Canada. Le faible prix de notre pétrole sur le marché américain fera perdre 1,2 milliard de dollars au fédéral cette année.

Mais nous ne voulons rien précipiter. On prendra le temps qu’il faudra avec Québec pour mesurer les répercussions de ce projet. Tous les points de vue seront entendus. À la fin, c’est Québec qui aura le dernier mot.

Je vous laisse découvrir le reste de l’entrevue dans le magazine.

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Commentaires

3 commentaires à “

Pétrole: la volonté de Marois, les conseils de Redford

  1. 3

    John Bull :
    mars 8, 2013 à 7:18

    Bonjour,

    Bien sûr, selon ses vieilles habitudes, Notre Dame de Béton converse tout en utilisant à profusion comme nulle autre « la bonne vieille langue de coton». Que reste t’il de concret dans une conservation avec Madame Pauline Marois, cette Dame de Béton qui aime bien tout comme Janette « perler pour perler ». À tout le moins, je préférerais qu’une entrevue avec Notre Dame de Béton soit conclue avec sa collègue de l’Alberta avec qui elle semble s’entendre à merveille. Entre deux Conservatrices, entre deux Bleues véritables telles Madame Alison Redford et Madame Pauline Marois, nul doute que le pétrole de l’Alberta viendra au Québec dans les plus brefs délais, ce qui fait partie d’une certaine logique.

    Tant qu’aux prétendus gisements de pétrole dans l’Est du Québec, c’est à se demander si ce n’est pas un « ballon politique » pour faire saliver les Pure Laine dont les goussets sont plutôt mal en point avec un gouvernement provincial d’une rapacité telle qu’il nous faut se demander si le Québec veut vraiment le « bien » de ses citoyens.

    En conclusion, quoi de mieux que de lancer un tel ballon afin de conforter le Pure Laine en lui faisait miroiter d’être assis sur des milliards à venir. Cela fait bien une cinquantaine d’années que des « histoires à dormir deboutte » fusent dans l’Est du Québec au sujet de cet Or Noir. Et à vrai dire, si ces gisements avaient le tonnage qu’on leur attribue présentement, le Québec pauvre comme la gale aurait depuis longtemps forer ce pétrole au lieu de « dévisager » tout le Nord du Québec avec ses barrages hydroélectriques, ce qui aurait coûté pas mal moins cher que d’exploiter cet hypothétique Or Noir. Car pour bien des politiciens nationalistes, que ça fait donc du bien de se péter les bretelles en « s’artroussant» de quelques coches dans le dialecte d’icitte. Au plaisir, John Bull.


  2. 2

    Paco Lebel :
    mars 7, 2013 à 20:39

    Avez vous posez une seule question à Pauline Marois sur les lobbyistes qui dictent les lois textos au Ministre?


  3. 1

    jack2 :
    mars 7, 2013 à 20:15

    7 milliards de barils dans Old Harry? J’ai toujours entendu 2 milliards

    7 milliards à 100$ le baril c’est 700 milliards de dollars. L’équivalent de 10 années de budget québécois! Ou de 70 ans d’importation de pétrole!!
    C’est énorme.

    Dites-moi que je rêve? A quand l’indépendance du Québec?


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